Sa mère chantonnait en faisait la cuisine, laissant sa jupe s'épanouir en corolle lorsqu'elle tournoyait sur elle-même. La musique qui passait le poste de radio était planante, la cuisine fleurie et il se souvenait bien de l'odeur épicée des plats qu'elle y préparait. Meredith Tonks était une belle femme aux cheveux blond vénitien, heureusement mariée à Kirk Tonks, dont la tignasse blonde était encore plus folle et vive que la sienne. Ce qu'il avait légué à son fils et, plus tard, aussi son sourire charmeur. Ils étaient heureux et libres. Amoureux. Aimants. Elle écrivait parfois dans un journal, au courrier du cœur, il était professeur. Ils étaient normaux. Parfaitement normaux.
Ted était assis à la table de la cuisine et dessinait avec frénésie, le chat de la maison couché sur les autres dessins déjà exécutés. Lorsque Meredith se retourna pour enlever le félin de la table en pestant contre l'indocilité indomptable de l'animal, elle s'arrêta une seconde en voyant le crayon suspendu au-dessus de la feuille et traçant des lignes de lui-même. Un clignement d'oeil et c'était terminé, il était de retour dans la main de Teddy. Elle avait sûrement rêvé. Elle rit toute seule. Un crayon dessinant seul. Quelle drôle d'idée.
***
«
FARSON, GREG ! »
Il portait à peine attention aux autres élèves répartis par le Choixpeau Magique. Il était trop intimidé, en réalité. La découverte de la magie avait été assez folle, la venue de l'intimidante Mrs McGonagall chez lui pour expliquer sa nature de sorcier à ses parents aussi, mais depuis qu'il avait franchi la plateforme 9¾, il était persuadé d'être dans un rêve. Un très beau rêve, disons-le, mais un rêve. Sorcier, passe encore, mais le Poudlard Express ? Les bonbons de tous ces goûts différents ? Une école de magie ? Un chapeau qui parle ? Tout ça ? C'était n'importe quoi.
Le garçon se leva sur la pointe des pieds pour regarder les élèves plus âgés accueillir chacun des répartis à leurs tables. Il avait bien lu toute l'
Histoire de Poudlard, désireux d'en apprendre le plus possible, et il ne parvenait pas à se décider sur la maison qu'il préférait. Les noms s'égrenaient, le cercle des élèves encore non répartis diminuait et il sursauta quand un retentissant «
TONKS, EDWARD ! » se fit entendre. Ted s'avança jusqu'au tabouret, essayant de ne pas regarder les autres élèves, et la Grande Salle disparut dans le noir complet quand le Choixpeau fut posé sur sa tête. Rien d'abord, puis ensuite un petit murmure.
Intéressant... je vois beaucoup de choses chez toi. Avide de connaissances, chevaleresque, désireux de faire ses preuves, loyal et travailleur... C'est souvent le cas, chez les nés-moldus. Néanmoins, je crois que la maison qui te conviendra le plus sera - «
POUFSOUFFLE ! »
Ted s'éjecta du tabouret et galopa jusqu'à la table des jaunes et noirs, qui applaudissaient chaleureusement chaque nouvel élève réparti dans leur maison. Il s'installa à côté du garçon auquel il avait parlé dans le Poudlard Express, Greg Farson, tout à fait soulagé d'être à cette table. Toutes avaient l'air bien, mais... il avait un bon pressentiment.
***
Bon sang, il connaissait cette réponse... Il mordilla le bout de sa plume, la trempa dans l'encre pour seulement ensuite tracer un dessin inutile sur son parchemin. Il n'était pas mauvais en Potions, loin de là, mais force était de constater que ce n'était pas sa meilleure matière. Même en révisant toute la nuit, impossible de se souvenir de l'ingrédient essentiel de cet antidote. Ted grogna et leva la tête pour regarder les autres élèves, tentant de capter un regard qui saurait l'aider (par télépathie, legilimancie, peu importe au point où il en était). Il croisa seulement celui d'un Serpentard apparemment aussi perdu que lui et il ne put que se replonger dans sa copie. Il était certain d'avoir entendu Andromeda dire un truc sur le sujet... à moins qu'il ait été trop concentré sur le mouvement de ses lèvres pour en retenir quoi que ce soit ? Oui, sans doute un truc du genre. Furieux contre lui-même, il ratura son dessin et passa à une autre question, bien qu'il était cette fois tout à fait déconcentré.
Il n'allait tout de même pas rater sa quatrième année parce qu'il s'était imaginé embrasser Andromeda Black passionnément au lieu de se souvenir que du dictame allait dans cet antidote !
Du dictame, voilà.
***
Le début de la septième année. De la dernière année. Il n'avait pas été nommé Préfet-en-chef, à son grand désarroi, mais l'insigne de Préfet était toujours affiché sur son torse et ce n'était pas si mal. Il avait pris l'habitude de cette position privilégiée. Pourtant, ce n'était pas le plus important, en cette nouvelle année. Greg lui avait demandé ce qui n'allait pas plusieurs fois au cours du repas, voyant le Poufsouffle disparaître dans ses pensées et regarder nerveusement les portes de la Grande Salle.
Aujourd'hui était le jour J.
C'était Andromeda qu'il attendait. Aujourd'hui était leur jour. Celui de la révélation. C'était leur dernière année à Poudlard. Bellatrix n'était plus là. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Parce qu'il en avait assez que leur vie ne soit que cachette, que mensonges. Il voulait plus, même si sa relation avec la Black était déjà... tellement de choses. Tellement de bonheur.
C'était leurs mains qui s'effleuraient dans les corridors. C'était leurs regards complices d'un bout à l'autre de la Grande Salle. C'était la lueur de sa cigarette dans la pénombre, quand elle se glissait à tour de rôle entre ses lèvres et celles d'Andromeda. C'était le goût de ses lèvres, le parfum de ses cheveux, la courbe de son sein contre sa main quand ils s'embrassaient dans les couloirs à la dérobée, ou dans leur cachette secrète. C'était son rire mélodieux, sa voix tranquille, son souffle dans son cou. C'était ça et mille choses encore.
Ils en avaient parlé. Il était nerveux. Sans doute moins qu'elle, cela dit.
Les portes de la Grande Salle s'ouvrirent et laissèrent cette fois enfin passer Andromeda, accompagnée de Yaxley, avec laquelle elle semblait en bonne conversation. C'était là. C'était le moment. Le préfet se leva de sa table, le cœur battant la chamade dans son torse, et marcha jusqu'à arriver à la hauteur de la Serpentard, qui avait fixé ses yeux bleus sur lui depuis longtemps. Il avait arrêté de respirer et prit finalement son courage à deux mains pour combler la distance qui restait encore entre eux et l'embrasser. Profondément. Une tempête de sifflets provenant de la table de Poufsouffle les interrompit et il se retourna vers ses amis pour leur adresser un signe plutôt vulgaire de la main, un éclat de rire dans la gorge et un sourire sur les lèvres.
***
Sa tête tournait affreusement. Ted massa ses tempes en grommelant et prit une bouffée de sa cigarette, avant d'en faire tomber maladroitement la cendre dans le cendrier non loin. Ils n'avaient absolument pas le droit de fumer dans leur salle commune, mais ils le faisaient tout de même. Puis, c'était leur dernière soirée à Poudlard, ils pouvaient bien en profiter, non ? La soirée avait débuté par une fête dans la salle commune de Poufsouffle, tous les septièmes années de la maison ensembles. Ils avaient évoqué les meilleurs et les pires souvenirs, avaient raillé sur le dos des uns et des autres, avaient englouti des quantités astronomiques de nourriture et d'alcool, ramené en cachette par un des larrons de Poufsouffle. Pas lui, évidemment, il était un élève à peu près modèle... mais il ne s'était pas gêné pour se servir dans la réserve ainsi constituée. Ils avaient depuis déplacé les festivités dans le dortoir des garçons, les filles étant parties se coucher plus tôt et faire leur valise.
«
Merde... une chance qu'on n'a pas de cours demain... McGonagall nous aurait tué. » Cette déclaration déclencha un rire chez ses camarades de dortoir, tout à fait pompettes. Il s'occupa de vider d'un coup de baguette leur cendrier, qui s'était bien rempli dans la soirée (et pas que de mégots de cigarettes, si vous voyez ce que je veux dire). «
Tu commences quand au Ministère, Teddy ? Greg avait réussi à maîtriser son rire et à formuler une phrase complète s'adressant au Préfet complètement défoncé qui s'était renfoncé dans son lit.
Quand j'aurai mes résultats... y'a un mec du bureau... Crawley, Fawley, Marley, j'sais plus, qui m'a dit que je pouvais passer quand je voulais, pour voir... le boulot, tout ça... Et Andy ? La bonne question.
Andy... C'est une Black, elle ne va quand même pas travailler. C'était à peu près l'idée. Même si à son avis, qu'Andromeda ne mette pas à utilité son grand talent magique était hautement absurde.
Dommage... tu vas la marier ? Ted ouvrit un œil bleu et amusé, le fixant difficilement sur son ami.
Ça t'intéresse ? Bien... t'sais... on sait jamais, peut-être que j'aurai enfin ma chance avec toi. » La faux espoir perçant dans la voix empâtée du Poufsouffle les fit tous hurler de rire et seule l'intervention du professeur Chourave réussit à mettre les jeunes adultes au lit.
***
«
Quelle jeune femme adorable ! »
Il entendait encore sa mère s'exclamer de toutes ses forces suite à sa première rencontre avec Andromeda, couvrant la Black de compliments. Une jeune femme si charmante ! Bien élevée ! Intelligente ! Cultivée ! Ambitieuse ! Magnifique, de surcroît ! S'il ne savait pas déjà tout cela, il serait tombé à nouveau amoureux de la femme décrite par sa génitrice, qui ne cessait de lui rappeler que sa fiancée était parfaite.
Adorable n'était peut-être pas le mot que lui-même aurait employé pour décrire Andy, mais puisque ça avait été la sentence maternelle, fortement appuyée par l'avis paternel... ainsi soit-il, elle était adorable.
Et maintenant ils se mariaient.
Ted laissa échapper un rire, avant de plaquer sa main sur sa bouche pour étouffer ce qui ressemblait de plus en plus à un gloussement hystérique. Ils se mariaient. Ted Tonks épousait Andromeda
Black, qui prendrait ensuite son nom et deviendrait Andromeda Tonks. Lui, un né-moldu, épousait la fille d'une des familles de sang pur les plus puissantes et connues du monde magique. On lui aurait raconté une telle chose au début de Poudlard qu'il aurait éclaté de rire. Ça lui semblait tellement... irréel. C'était le mot. Irréel, tout ce bonheur. Tous ces moments passés ensembles, toute cette complicité, tout cet amour.
Peine perdue. Le fou rire ne cessa pas.
Quand Greg entra dans la chambre du futur marié pour vérifier si celui-ci avait fini de passer son habit, il le trouva couché sur le tapis, pleurant de rire. Littéralement. «
Par la barbe de Merlin, qu'est-ce qui te prend ? Greg, t-tu te rends compte ? J'ép-pouse Andy. Greg le regarda sans comprendre, remettant dangereusement ses capacités mentales en question.
J'épouse Andy ! C'est... formidable. Si ça continue, c'est moi vais épouser Andy parce que je vais lui annoncer que tu es seulement bon à être interné à Sainte-Mangouste. » Il continua de rire et se calma à peine en calmant son regard dans le miroir de la chambre, tandis que son meilleur ami pestait en replaçant ses cheveux et son nœud papillon.
Il se mariait à la femme qu'il aimait.
***
«
JE SUIS PÈRE ! »
Difficile de rater l'entrée de Ted Tonks au Ministère dans ces conditions. Il avait claironné son nouveau statut à peine avait-il mis un pied aux tâches invisibles, se récoltant par la suite une salve d'applaudissements et de félicitations. Il sortit une photo de son porte-feuille et la colla sous le nez de ses collègues, beuglant de fierté : «
Regardez-moi cette merveille ! » Un minuscule bébé aux cheveux roses, puis tournant au bleu, sur la photo animée. «
MÉTAMORPHOMAGE ! C'est fabuleux ! Nymphadora est métamorphomage ! » Il aurait déclaré qu'elle était l'Élue, le Messie, la fille d'Helga Hufflepuff ou Morgane que ça n'aurait pas été aussi fou. C'était bien plus que cela, de toute façon. Elle était
sa fille.
***
«
[...] c'était Ted Tonks, à Londres, pour la BBC. »
Le caméraman lui fit un signe de la main et il put abaisser son micro, souriant. Une autre journée de finie. Ted prenait de plus en plus sa place dans son double emploi et son sourire charmeur n'y était pas pour rien (ainsi que quelques sorts habilement jetés, d'accord). Il prenait tout de même le temps de présenter lui-même les bulletins de nouvelles du jour, surtout ceux en plein air, à Londres, histoire que tout le Royaume-Uni s'habitue à son visage, sorciers comme moldus. C'était plus aisé pour passer ses messages en toute quiétude, avec seule sa chemise violette pour signaler sa véritable nature. Dans les studios, c'était tout aussi agréable de manipuler ses collègues et de trafiquer les informations, mais son aisance devant la caméra était un atout.
Un paquet de jeunes filles aux longues jambes dénudées se pressèrent autour de lui, attirées par la caméra autant que par la tête blonde du sorcier, qui s'avoua surpris de cet attroupement soudain. Une voix féminine se fit plus pressante, alors qu'une grande rouquine sortait du lot pour se précipiter sur lui, s'accrochant presque à sa chemise. «
Monsieur Tonks ? Est-ce que je pourrais avoir un autographe ? » Bon sang, mais il n'était pas une vedette. Il n'était pas un Beatles, ni un de ces punk rockers si populaires. Il était
lecteur de nouvelles, Merlin le garde. Il se plia quand même à l'exercice et chercha un crayon dans ses vêtements, avant de se voir tendre un tube de rouge à lèvres et un journal du jour. Il attrapa les deux objets et entreprit de signer le journal, jetant un coup d’œil rapide aux jambes de la jeune fille devant lui, l'air de rien. Plutôt jolie, c'était certain. «
Vous ne préféreriez pas garder cela pour quand une vraie célébrité sera près de vous ? Une salve de gloussements accueillit son commentaire.
Oh non, Mr Tonks ! Nous... enfin, je vous regarde tous les jours. » Charmante.
La rouquine piétina sur ses talons, considéra sa signature avec un soupir énamouré, sans toutefois partir. Le caméraman avait commencé à ranger ses affaires et il aurait bien voulu suivre. «
Êtes-vous célibataire ? » Ha, mais bien sûr. La libération sexuelle emmenait également cela - les demandes mielleuses des jeunes filles. Ted haussa un sourcil et se mordit les lèvres, amusé. Une partie de lui, celle joueuse et encore très crétine imputable à son adolescence rapprochée, aurait trouvé amusant de dire que oui. L'autre partie, celle raisonnable, prégnante et portant une alliance en or, trouvait que non. Il était un homme honnête, ce n'était pas le moment de joueur les trolls uniquement sous prétexte qu'il passait ici pour un moldu. «
Non, je suis même très marié et absolument père de famille. Le sourire se fana sur le visage de la rouquine.
Mais ne vous en faites pas, miss. Je suis certain qu'un Beatles est encore libre. »
***
Il courait sans fin, tenant étroitement dans ses bras le corps inanimé de Nymphadora. Il ne savait pas si elle respirait, si elle était vivante, mais il était hors de question qu'il la laisse. Ses poumons le brûlaient et ses jambes ne pouvaient plus le porter, mais il courait encore. Il courait en rendant les sorts à l'aveuglette, en évitant ceux qu'il pouvait et en serrant les dents. Il voyait la maison, leur maison, au loin. Leur maison qui n'était plus un lieu de sécurité. Où aller ? Cette seconde d'inattention le fit recevoir un sort imprévu qui l'expédia au sol avec douleur, sa fille contre lui. La femme qui s'approchait d'eux ressemblait à Andromeda - de loin, il cria alors son nom : «
ANDY ! » Mais ce n'était pas elle. C'était loin d'être elle. Le rire cruel se fit entendre, la baguette se leva, le sort fut articulé dans un grand silence tant d'autres paroles se faisaient entendre par-dessus la formule de la mort :
«
Ted ! Ted ! Teddy ! [...] Edward ! »
Il s'éveilla finalement, le beau visage inquiet d'Andromeda penché au-dessus du sien. Aussitôt, il la serra dans ses bras et l'embrassa, sur les lèvres, les joues, le front, ses cheveux, murmurant il ne savait quoi. Ses joues étaient trempées de larmes. Déjà les lambeaux de son rêve disparaissaient dans son éveil et quand son épouse allait lui demander ce dont il allait rêver («
Tu n'arrêtais pas de hurler mon nom. »), il allait répondre qu'il ne savait plus. À quelque part entre la vérité et un mensonge, parce qu'il savait très bien à quoi il avait rêvé, sans même avoir besoin de s'en souvenir.
La protection assurée par Alastor était un baume sur ses inquiétudes, mais il ne pouvait pas s'empêcher de craindre. Craindre pour sa vie, celle de son épouse, celle de sa fille. Ils n'avaient rien demandé à personne. Il avait peur. La folie était un terrible maître et ceux qui rôdaient dans l'ombre étaient indéniablement fous.