Racine carrée de trois.

Baguette : "Pourquoi Alrik et Ludvig ont-ils la même baguette ?"
L'incompréhension brille au bord des yeux de Mycroft ; il sent le morceau de bois glisser le long de ses doigts tandis qu'il desserre sa prise, presque révulsé par sa nouvelle acquisition. Des semaines qu'ils bouillonnaient d'impatience, tous les trois ; des semaines qu'ils se préparaient à recevoir le réceptacle de leur magie, lui leur permettrait de devenir des sorciers à part entière. Presque indifférents à sa détresse, ses deux frères ne tenaient plus en place, remuant fébrilement leurs baguettes dans les airs et le dépit de Mycroft ronronnait à ses oreilles telle une rengaine sadique l'empêchant de passer outre. S'agenouillant à sa hauteur, son père posa une main compatissante sur son épaule et lui adressa un sourire encourageant.
"Ce n'est pas si grave, Mycroft ; tu n'es pas heureux de te distinguer ?"
"Non." la réponse fut instantanée et la moue esquissée ressemblait à s'y méprendre à du dédain ; la question était stupide, quoiqu'il fut trop jeune pour savoir exprimer sa pensée à son géniteur.
"Je suis certain qu'elle est très bien, regarde - tu as vu comme son bois est beau ? Tu as entendu le vendeur, c'est du saule avec un cœur en plume de phénix.. c'est autrement plus excitant qu'un crin de licorne, tu ne penses pas ?"
L'explication ne semble satisfaire le môme qu'à moitié mais au moins a-t-il le réflexe de ne pas laisser totalement tomber la baguette, resserrant ses petits doigts sur le bois pour la ramener à lui. Un goût amer titillait ses papilles et son regard rechercha instinctivement Alrik et Ludvig qui s'étaient mis en tête d'improviser un duel sur-le-champ, provoquant l'agacement de leur mère.
"Du calme, les jumeaux ! Ce n'est pas un terrain de jeu !"
Mycroft leva les yeux vers celle-ci et, pendant un instant, un très court instant, une haine immense agita ses prunelles claires ; un instant seulement, car déjà son manque de courage habituel reprenait le dessus et il baissait les yeux pour dissimuler son envie atroce de pleurer.
"Du calme, les triplés" rectifia son père d'une voix calme, quoiqu'il signifiait clairement qu'il n'avait rien manqué de l’aparté de son fils. "Restez près de nous le temps que l'on règle quelques petites choses avec monsieur Ollivander, hm ?"
Alrik et Ludvig furent là en un instant, tout à leur hilarité, saisissant l'un l'autre un bras de Mycroft, imperméables au malaise actuel. Ludvig jeta un coup d’œil à la baguette de ce dernier mais sembla ne pas partager les craintes du concerné et si Mycroft fut soulagé de retrouver sa place légitime au milieu de ses deux autres moitiés comme si de rien n'était, un sentiment de vulnérabilité s'instilla dans ses veines pour nourrir davantage encore le sentiment atroce qu'il était de trop.

Miroir du Riséd : Les draps collaient sa peau dénudée, moite de sueur ; c'était une sensation dégueulasse à laquelle il ne s'était jamais fait malgré sa récurrence toute relative. Le souffle erratique, il observait calmement les formes absconses danser devant ses prunelles assombries et même le soupir d'Asaël lui parut parasité d'un ultra-son lointain, irritant ses tympans et le forçant à esquisser un rictus de douleur.
"Tu mérites ce qui t'arrive, tu sais ?" rabroua son ami, le menton calé dans une main alors qu'il siégeait à côté du lit du concerné et Mycroft se contenta d'accentuer le rictus, remuant sporadiquement le malaise qui l'emplissait de nausées atroces. "Søren - tu ne veux pas que je t'emmène à l'infirmerie ?"
L'interpellé hocha légèrement la tête en signe de dénégation et son regard brillant se riva une seconde sur son vis-à-vis, observant son propre reflet dans les verres de ses lunettes avant qu'il n'esquisse un haut-le-cœur, tourmenté par ses nausées. Le Serdaigle esquissa un rictus amusé mais n'insista pas ; sans doute trouvait-il Bradley plus irresponsable encore de fournir Mycroft lorsqu'il venait lui quémander de quoi soulager ses migraines, pitié, quand elle savait très bien dans quel genre de bad trips le blondinet s'embarquait avec.. mais le business était le business, lui répondrait-elle sans aucuns doutes.
"Asaël." il souffle son prénom comme si cela lui demandait un effort surhumain mais, toujours aussi détaché, le concerné se contente d'hausser un sourcil curieux comme s'il ne s'agissait que d'un échange banal. "Je déteste que tu m'appelles comme ça."
"Je sais, Søren." remuer le couteau dans la plaie était sa spécialité et son sourire mutin semblait presque innocent, mais les fix qu'il multipliait avait cet effet incroyable sur Mycroft, celui de le faire sortir de son silence gêné, celui de briser la bulle de mal-être dans laquelle il se terrait et Asaël devina au regard que le Poufsouffle lui lança qu'il avait dépassé une frontière.
"Fuck you ; why do you have to be such a douche ?" "Søren, je ne comprend pas le sué-" "Tu sais ce qu'il se passe, Asaël ? Tu sais ce que ça me fait ? Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à eux - tu sais ce que ça fait d'être séparé de ses frères jumeaux, des meilleures parties de toi, et qu'un connard que tu appelles meilleur pote s'obstine à te les rappeler en utilisant le patronyme qu'ils utilisent ?" "Eh bien, aussi loin que je suis concerné, j'ai toujours trouvé que tu étais la meill-" "Je me fous de ce que tu penses. Tu ne leur arrives pas à la cheville, pas même à un seul d'entre eux. Peu importe ce que je m'enfile, le manque ne part jamais ; et j'ai beau me ruiner chez Bradley ce n'est jamais, jamais suffisant. Je crève de les retrouver - et Merlin me soit témoin que tu ne connaîtras jamais une relation aussi parfaite dans ta misérable vie, alors fous-moi la paix cinq minutes and go fuck yourself."

Épouvantard : "Pourquoi ?!"
Mycroft ne haussait pas souvent le ton ; c'était même exceptionnel de le voir s'exprimer aussi honnêtement, lui qui baissait les yeux à la moindre contrariété, qui ne savait plus articuler correctement lorsqu'on le mettait mal à l'aise, qui fuyait les confrontations de toutes sortes à partir du moment où il sortait de l'intimité de ses deux frères. Ces derniers l'observèrent de leurs yeux miroirs et la douleur qui y transparaissait faisait écho à la sienne mais ils se taisaient, eux - puis Mycroft réalisa soudainement qu'ils savaient déjà et qu'ils s'y étaient résignés.
"Søren.." commença sa mère, tendant une main vers lui qu'il esquiva d'un pas révulsé. "Non ! Vous n'avez pas le droit ! Je.. Ludvig, Alrik, je vous en supplie.." les larmes lui piquaient les yeux ; non, les larmes coulaient déjà sur ses joues et il sentait sa tête lui tourner, ses jambes trembler. "Je ne peux pas vivre sans vous, je ne dirais plus rien, je ne ferais plus rien, je vous en supplie, ne m'abandonnez pas." les sanglots étreignirent sa gorge et Mycroft ne put plus rien articuler ; à vrai dire, il n'arrivait plus tellement à respirer correctement et ses halètements pathétiques lui donnaient l'affreuse impression qu'il était sur le point de mourir et que tout le monde, tout le monde y était indifférent.
"Ils ne t'abandonnent pas, Mycroft." intervint son père, le seul qui ait jamais su l'appréhender hormis ses frères. "Ils vont simplement.. étudier ailleurs. Ils ne t'oublieront pas ; tu ne les oublieras pas non plus. Vous continuerez à vous écrire et à communiquer régulièrement. Ta mère et moi - et tes frères également, au demeurant - pensons qu'il est plus sain, pour toi, de t'épanouir seul, un peu, loin d'eux. Nous savons que le fait que tu ne sois pas réparti dans la même maison qu'eux t'a bouleversé, mais Mycroft.. cela te fait redoubler ta première année. Ne pas être dans la même maison est une chose, mais dans une année différente ? Crois-moi, tu souffriras moins de les savoir en Suède qu'à proximité mais incapables de trouver du temps pour toi."
"Nous aurons toujours du temps pour Søren." intervint Alrik, visiblement dépité, et Ludvig haussa légèrement les épaules pour signifier qu'il était trop partagé pour donner son avis. "C'est juste que.. ça te fait souffrir, et par conséquent nous aussi. On ne pourra pas toujours t'infiltrer dans la salle commune des Gryffondor pour que tu dormes avec nous, Søren. Il faut que tu grandisses, et je pense - nous pensons, Ludvig et moi, qu'on te fait trop d'ombre pour te permettre de le faire convenablement."
"Vous m'abandonnez." "Non !" "Vous m'abandonnez ! Vous allez m'oublier, vous allez m'oublier et je me retrouverais tout seul !" "Søren.. !" "I fucking hate all of you !"


Amortentia : L'odeur des kanelbullars ; pâtisserie suédoise que sa mère leur préparait régulièrement durant les vacances scolaires et qu'il partageait avec ses deux frères. C'est une odeur de cannelle, mais pas seulement - c'est une saveur partagée, du sucre qui fond sous la langue alors que la chaleur de ces épaules jumelles flirte avec la sienne. La sensation exquise de partager un moment privilégié, loin du Monde, car le reste n'a pas vraiment d'importance.
L'odeur de la forêt ; de la solitude, au fond des bois, au gré de la bruine battant les feuilles - alone but not lonely, là où personne ne pourrait vraiment venir le chercher, là où il pouvait être unique sans être terrorisé par cette même idée.
L'odeur du citron ; depuis que, affalé sur une table de la bibliothèque, il observa Asaël réviser de ses yeux mi-clos, fatigué par l'heure tardive mais patientant sagement que le Serdaigle décide qu'il en ait terminé. "Tu sens bon" avait réalisé Mycroft de sa voix engourdie et Asaël d'esquisser cet éternel rictus imbu de lui-même, perdant sa main dans les boucles dorées du Poufsouffle sans relever la remarque.

Compétences magiques

Duels : 1/10 - Mycroft a déjà du mal à garder ses moyens lorsqu'on l'affronte avec des mots, alors avec une baguette ? Seigneur, il en est hors de question. La fuite reste son alternative préférée, à défaut de trouver quelqu'un pour prendre sa défense.
Potions : 5/10 - La moyenne, juste ce qu'il faut pour s'assurer ses examens, sans intérêt néanmoins, sans réelle curiosité non plus. Mycroft n'est pas un élève exceptionnel, il le sait, mais au moins passe-t-il quelques heures à réviser pour décrocher ces notes.
Métamorphose : 10/10 - Sa matière préférée, sans aucuns doutes. Quelle satisfaction peut surpasser celle de se jouer des lois primaires de la vie ? Les formes, les couleurs, la matière elle-même.. les inter-changer d'un simple coup de baguette, pousser le vice jusqu'à pouvoir se modifier soi-même. Mycroft est passionné et cela se ressent sur l'intérêt qu'il porte à la matière - et pas seulement en cours.
Sortilèges : 6/10 - Il assure à partir du moment où ces sortilèges sont en rapport avec la métamorphose ; pour le reste, disons qu'il se débrouille, mais peut aussi bien être capable du meilleur comme du pire.
Légilimancie : 0/10 - Non.
Occlumancie : 0/10 - Non plus.
Quidditch : 10/10 - S'il ne joue pas, Mycroft est passionné par le sport. Il est même indécemment bon sur un balai, mais se compromettre devant l'école entière au risque de se ridiculiser ? Sans façon. D'autant qu'il est trop occupé à déprécier sa capacité pour penser que qui que ce soit puisse être intéressé par ce don.
Divination : 8/10 - Sans posséder le troisième œil, Mycroft est étonnamment doué en Divination. Allez savoir pourquoi.

Je suis né trois et je n'ai de cesse, depuis, de tenter de me réunir - en vain.
Des trois, Mycroft avait toujours été l'original. S'ils se ressemblaient comme trois gouttes d'eau, des boucles d'or aux grains de beauté parsemant leurs peaux, les aspérités du caractère creusaient leurs différences et si leurs inlassables échanges d'identité fonctionnaient la majorité du temps, il était toujours facile de déceler Mycroft au milieu des triplés.
Dans le monde animal, il existe toujours des plus faibles au sein d'une portée ; le plus petit chiot, le chat mal formé, la souris morte-née. Mycroft était celui-là. Un peu plus chétif, certes, mais surtout privé d'une force de caractère qu'Alrik et Ludvig s'était farouchement disputé, laissant au dernier la responsabilité du manque de confiance en soi et du syndrome d'infériorité.
Le poids était lourd à porter, mais Mycroft semblait okay avec ça. Plus lent que les deux autres, quoique le duo ne l'avait jamais laissé en arrière : il était au contraire celui à éduquer, celui pour lequel on devait s'efforcer d'être un exemple.
S'il était le seul des trois à porter un prénom occidental, il n'existait que sous le patronyme de Søren dans l'enceinte de sa vie privée ; probablement pour ne pas trop le laisser à part, sûrement pour renforcer leurs points communs malgré que Mycroft soit plus effacé, plus silencieux, plus apte à suivre qu'à diriger. Ce n'était pas grave, au fond : ils se complétaient.
Ils étaient un mur inébranlable, trois paires d'yeux identiques qui dévisageaient le Monde, affamé de le dévorer tout entier pour se le partager entre eux trois. Fusionnels, inséparables et possessifs ; et il ne pouvait en être autrement.

Alors cela le détruisit, vraiment, lorsqu'ils s'en furent sans lui à l'autre bout du Monde. Quelque chose ne lui se brisa tout à fait pour ne se reconstruire qu'au détour des étés qu'ils partageaient à défaut de pouvoir se côtoyer au jour le jour. Bien sûr, il y avait Asaël ; Asaël qui partagea sa première première année pour ne plus jamais le quitter malgré l'année d'écart qui les sépara ensuite, malgré leurs maisons différentes - et Mycroft en voulut immensément à ses frères de n'avoir pas été capables de le faire. Il tenta de fuguer, bien sûr, mais l'aéroport ne le laissa pas décoller et Poudlard n'avait jamais été aussi vide que sans le reste des triplés. Au début, même, des Gryffondor eurent l'insolence de lui demander au sujet des 'jumeaux' et si la haine ébouillantait ses veines il se contentait de répondre à voix basse, trop renfermé pour oser leur faire face, trop lâche pour s'affirmer en l'absence d'Alrik et Ludvig. Asaël prit leur place, s'affirmant comme la seule personne auprès de qui Mycroft pouvait s'ouvrir et parfois, même, prêtant ses cordes vocales pour mieux traduire les pensées du blondinet qu'il ne manquait jamais de deviner.

Paradoxalement, bien que sa mauvaise foi ne lui permette pas réellement de s'en rendre compte, il ne s'est jamais autant épanoui que depuis leur séparation. Alrik et Ludvig étaient capables d'indépendance quand Mycroft ne savait vivre que dans leur ombre rassurante. Trop vulnérable, trop fragile ; cela ne l'empêcha pas, pourtant, d'en vouloir plus que de raison à sa génitrice, qu'il considère directement comme responsable de cette décision. Comme il était sélectif, Mycroft n'avait autorisé que son père à pénétrer le cercle très privé des triplés et, rapidement laissée sur le bas-côté par - paradoxalement - le moins difficile des triplés, sa mère n'avait jamais été capable de le comprendre. Ils s'aimaient sans doute, avec cette pudeur des gens qui se détaillent de loin sans réussir à creuser les apparences, mais leur relation compliquée est devenue pour le moins tumultueuse. Mycroft n'a pas besoin de mots pour lui faire comprendre qu'il la méprise. Les introspections, cependant, lui étaient inconnues et mélancolique comme il était, il est encore aujourd'hui inconscient des avantages que cette décision adulte, au demeurant, ont pu lui accorder.

Ce n'est pas qu'il aimait la solitude ; tout au contraire. Mais il avait du mal à s'intégrer lorsqu'il ne s'agissait pas de ses frères, et si Asaël avait su l'attraper comme l'animal sauvage qu'il savait être c'était une exception en soi. Bien sûr qu'il apprécie ses camarades de classe ; bien sûr, aussi, qu'il sait sourire, se montrer être un excellent ami fidèle et parfois, après avoir refait le plein chez Ophelia, bavard, épanoui, avec un humour à toute épreuve. Pourtant, au fond, il ne peut s'empêcher de se sentir trop vide pour tout ça et il n'a plus la décence de sursauter lorsqu'on le surprend à regarder au loin avec cet éclat douloureux au fond des yeux.
Privé de ses meilleures moitiés, Mycroft savoure le Monde sans passion, s'efforce de rechercher le plaisir dans la musique de son quotidien - sans vraiment y arriver, et de prendre son mal en patience pour les retrouver, quitte à passer à côté des plus belles années de sa vie.