Les yeux grands ouverts, il observait avidement les photos bouger. Il avait toujours été fasciné par les albums familiaux qui traînaient dans le placard du salon, tout en haut des tablettes. Tout seul, il ne pouvait pas les atteindre, il était trop petit. Parfois, il sautait à pieds joints pour essayer de les toucher, mais rien n'y faisait. Arthur s'était même déjà éraflé le front en tombant de son échelle improvisée composée de boîtes en carton chambranlantes et du pouf du salon qu'il avait déplacé de peine et de misère jusqu'au placard. Depuis ce petit accident sans réelle conséquence, sa mère se contentait d'attraper les albums-photos de la famille et de les tendre à son fils, préférant le savoir assis sur le divan à contempler les photos que s'aventurant dangereusement sur le mobilier du Terrier. Et comme à son habitude, le petit s'extasiait devant ces images qui bougeaient en boucle. Toujours les mêmes photos, comme s'il ne les connaissait pas par coeur déjà. Ça faisait rire sa mère, elle qui ne comprenait pas la fascination de son fils envers cet amas de souvenirs qu'on laissait normalement s'empoussiérer dans un coin de la maison sans trop s'en préoccuper. Il était curieux le petit, tout le monde le disait.
Et un jour, le cercle de l'habitude s'était rompu d'un coup. Une phrase, une seule. Une question de trop.
« Et elle est où ta famille à toi, maman ? » Une question bien innocente en apparence qui avait su tirer une larme à Cedrella Black, devenue Weasley par amour, reniée du même coup par son propre sang. Son regard brillait d'une tristesse infinie, elle dont le coeur immense ne connaissait ni la haine ni la méchanceté. Si son clan avait préféré effacer toute trace de son passage dans leurs rangs, elle gardait au fin fond de son être un amour à leur égard que même le temps ne pourrait tarir, malgré la pluie d'insultes et le dédain flagrant de la mondanité dont elle était issue. Elle se surprenait à serrer encore plus fort son fils qu'elle couvait déjà quelques instants plus tôt d'une étreinte maternelle bien sentie. Sa main droite caressait doucement le cuir chevelu d'Arthur, recouvert de cette tignasse de feu caractéristique de la famille de son époux.
« Ma famille, c'est toi mon chou. Toi, ton père, tes frères. » Une réponse de mère, emplie d'amour et de réconfort. Pourtant, les yeux du petit trahissaient son fil de pensées emballé et son incompréhension. À son jeune âge, il savait que les enfants naissaient quand un papa et une maman s'aimaient beaucoup beaucoup. Il savait aussi que des parents avaient dû beaucoup s'aimer pour avoir sa maman, mais ils étaient absents. Cette constatation le terrorisait, lui qui ne pouvait imaginer qu'on puisse vivre sans parents. Ses deux petits bras enroulés autour du cou de Cedrella, il colla son visage tout près de son coeur, l'entendant battre aussi rapidement que le sien.
« Tu sais Arthur, la famille, c'est celle qu'on choisit. C'est bien plus que le sang, plus que des cheveux parfaitement roux et de jolis yeux bleu ciel. » Un sourire se traçait timidement sur les lèvres du garçon alors que sa mère flattait doucement ses pommettes empourprées.
« Il n'y a que le coeur qui peut choisir ta famille. Tu dois l'écouter, toujours. » Un soupir de satisfaction et de pur bonheur échappa au gamin qui était encore lové tout contre sa mère. L'innocence enfantine passée, il comprendrait éventuellement ce que les Black avaient fait. Il comprendrait la haine, la honte et le rejet, mais pas encore, pas aujourd'hui. Il n'était qu'un enfant et sa mère le protégerait encore, tant qu'elle le pourrait, de la cruauté du monde extérieur, même si le temps filait déjà à vive allure.
* * *
« Arthur, tu as la tête dans les nuages. » Sa mère lui disait si souvent, c'en était devenu la bande sonore de sa vie. En boucle, on lui répétait qu'il était un jeune distrait, qu'il passait son temps à rêvasser. Cette fois-ci, il ne faisait pas que fantasmer sur quelque histoire que son père lui avait racontée avant le dodo de la veille. Non, il était absorbé par quelque chose d'encore plus captivant que la cape et la baguette des trois frères de Beedle : une photo moldue. Des jours à la regarder, à examiner chacun des détails qui se dessinaient sur le visage de la demoiselle au grand chapeau et de son compagnon à l'écharpe rouge vif, de même que les traits flous d'arrière-plan. Il n'avait aucune idée d'où avait été prise la photo, mais il savait que c'était un moment heureux à n'en point douter. Un instant à chérir, à immortaliser.
« Tu te rends compte maman? Ils doivent choisir le moment I-DÉ-AL pour prendre la photo. Ils ont pas le droit à l'erreur sinon, la photo n'est pas jolie. C'est incroyable, c'est mag- non pas magique, c'est… beau. » Il y avait quelque chose de poétique là-dedans, comme une vieille balade aux accents tristes, mais qui nous fait sourire tout de même. Un moment, un instant, un flash et voilà que le souvenir était physiquement là en une image. Une image immobile, pourtant bien significative. Un sourire figé, un rire muet, imperceptible ou une larme dont la course folle ne se terminait jamais, bloquée sur la joue d'un être aimé à jamais. Il avait trouvé une vieille photo dans la rue lorsqu'il avait fait un tour à Londres avec son père. Septimus avait roulé les yeux en voyant son gamin sautiller sur le chemin du retour, photo en main, sourire aux lèvres. Fatigué, il s'était contenté de soupirer bruyamment en signe de mécontentement. Son fils avait tendance à ramasser tout ce qu'il trouvait et qui, à son plus grand dam, ne possédait aucune propriété magique et personne ne réussissait à gagner contre la petite bête rousse. Il était tenace, un vrai garçon de dix ans. Dans la chambre d'Arthur, on ne trouvait plus sa table, elle avait été ensevelie au fil du temps par moult broutilles amassées ça et là, au gré de ses envies. De ses doigts minutieux, il les virait et revirait dans tous les sens, les observait sous tous les angles, cherchant à comprendre leur utilité ou leur beauté. Car oui, c'était bien ce qu'il voyait dans ce tas de bidules dépareillés : la beauté du monde moldu.
La famille Weasley en était une que l'on disait ouverte d'esprit, accueillante et chaleureuse, pourtant Arthur sortait du lot avec son excentricité qui choquait et gênait même ses aînés lors des sorties en public. Le jeune homme avait des sujets de conversation atypiques qui, sans être inintéressants, revêtaient tout de même de l'inexplicable pour bon nombre de sorciers. Comment pouvait-il être passionné par ces êtres qui ne connaissaient pas la magie? Sans considérer les moldus comme des inférieurs aux sorciers, on s'entendait pour dire la plupart du temps que la magie, cet art mystique et subtile, voire tape à l'oeil dans certains cas, gagnait haut la main le combat face à la vie ordinaire du londonien moyen. Et Arthur protestait poliment, soutenant que les moldus avaient une vie différente de la leur, qu'elle était enviable à certains égards.
« Oh Cedrella, heureusement que ton Arthur entre à Poudlard dans quelques semaines. Ça lui changera les idées, tu verras. On n'est pas un sorcier avant d'avoir touché une baguette. Après quelques sorts lancés, il comprendra l'attrait de la magie, c'est évident. » Cependant, la mère d'Arthur n'avait rien à reprocher à son fils. Son esprit vif et créatif la charmait de jour en jour et jamais pour tout l'or du monde aurait-elle voulu le changer, mais voilà qu'elle craignait son départ pour Poudlard. Il laisserait derrière lui sa vie, sa chambre, ses… choses. On l'enfermerait dans un monde hermétique de magie, loin de ses grandes passions. Elle essayait de se convaincre que c'était pour le mieux.
« Peut-être. »Et quand était venu le moment tant redouté, elle dû faire face aux larmes de son fils.
« Allez garçon, on va être en retard. Tu descends immédiatement ou je viens te chercher moi-même! » Son père s'impatientait, appuyé contre la porte d'entrée. Il se félicitait d'avoir refilé à sa douce la terrible tâche de séparer leur petit dernier de son trésor chéri. Septimus savait qu'il n'aurait pas eu le coeur de lui forcer la main, bien qu'il s'en donnait les airs. Il n'y avait rien de plus réjouissant que le regard ébahi de son fils devant une nouvelle babiole trouvée au hasard d'une rue de la grande ville.
« Bon, une seule chose. Tu n'en prends qu'une seule avec toi! Mais ne le dis pas à ton père. Ni aux autres. Ce sera notre secret, mon chou. » D'un baiser sur le front, elle scellait l'entente avec Arthur, l'envoyant rapidement vers son père. La main scotchée au fond de sa poche de pantalon, le garçon tenait cette petite boussole brisée qu'il comptait bien remettre en état au courant de l'année, entre devoirs et leçons.
* * *
Le temps passait doucement et il s’acclimatait à son nouvel environnement. Ce n'était pas bien différent de chez lui en fin de compte, lui qui était né dans un foyer sorcier. Ce devait être un tout autre choc pour ceux qui venaient de l'extérieur, les nés-moldus. Il y avait d'ailleurs ce jeune gryffondor aux parents moldus qui partageait sa chambre et qui égayait ses journées de son regard nouveau sur le monde magique. Si l'un s'enquérait souvent des traditions sorcières et de comment Arthur vivait à la maison, l'autre s'amusait à poser mille et une questions sur la boîte à images qu'on appelait télévision et sur l'énergie magique qu'était l'électricité. Les deux se fascinaient mutuellement.
Un jour, il avait décidé de lui montrer sa boussole, enfin le
machin chouette truc rond aux arabesques gravées dans le boîtier refermable comme il l'appelait.
« Je vais la réparer. » avait-il confié à son nouvel ami. Arthur avait tendance à faire confiance trop facilement, c'était dans sa nature, mais dans le cas de John, c'était une amitié qui durerait au-delà même de l'enceinte de l'école il le sentait, il le savait. Le temps prouverait qu'il avait eu raison.
« Ça sera difficile. Les boussoles, c'est compliqué. Dès qu'elles perdent le Nord, on les change ou on les envoie réparer. » Malgré tout, le jeune Weasley gardait espoir que sa baguette et ses doigts de fée auraient raison de la bête récalcitrante qu'était la boussole. John lui avait souvent dit qu'il n'avait pas les bons outils pour le faire, qu'il fallait tout un tas de babioles pour réussir à démonter et remonter cette boussole, pourtant Arthur avait réussi au fil du temps à démonter entièrement l'objet moldu et à examiner chacune de ses pièces grâce à ces nouveaux sorts qu'il apprenait dans les cours d'enchantements et dans les bouquins de la bibliothèque. Il y avait bien que les sorts qui le faisaient traînasser dans ce recoin de Poudlard, lui qui n'était pas si studieux d'ordinaire. Entre les cours, il nettoyait et assemblait les morceaux entre eux, un à un, sans trouver la source du problème. Son ami avait beau lui dire et redire que la boussole ne trouvait tout simplement plus le Nord, Arthur tentait de trouver une nouvelle solution. Devant cet échec frustrant, Arthur avait quelque peu laissé de côté ce bidule de malheur, se consacrant au quidditch, à l'étude des moldus et aux nouveaux sorts qu'il découvrait.
Il n'y avait pas que sa boussole et son nouvel ami pour ensoleiller ses journées, il y avait bien cette demoiselle aux cheveux de feu et au sourire contagieux. Elle était de sa maison, mais il avait réellement fait sa connaissance en devenant son binôme en classe de potions. Molly, c'était le prénom de cette déesse des recettes magiques auxquelles Arthur ne comprenait strictement rien. Elle avait beau lui expliquer, il réussissait toujours à rater sa potion, la faisant éclater de rire du même coup. Dans leur équipe, elle avait une autorité quasi totale et ça plaisait bien au Weasley. Si au tout début il appréciait surtout les résultats obtenus en potions grâce à elle, il réalisa rapidement que c'était la demoiselle qui lui plaisait en fait. Les mois et les années qui passaient renforçaient cette amitié d'une intensité encore inconnue du petit rouquin. Des lettres, ils en échangèrent par dizaine au cours des vacances estivales et hivernales, dès qu'ils se retrouvaient séparés l'un de l'autre. Et de mots sympathiques et comiques à une prose plus sentimentale, leurs écrits témoignèrent de l'évolution de cette relation désormais ambiguë. Entre rêves communs et espoirs partagés, les deux gryffondors découvrirent au détour d'une sortie au clair de lune ce que l'amour, le seul, le vrai, l'unique, signifiait. Ni leurs parents, ni leurs amis, ni même ce vieux M. Picott, ce concierge briseur de soirée, n'auraient leur mot à dire. Même les blagues gênantes de John n'auraient pas raison de son bonheur. Ce soir-là – ou plutôt ce matin-là vu l'heure à laquelle ils étaient rentrés – le jeune homme se coucha le sourire aux lèvres, malgré la douleur physique que ce vieux bougre de concierge lui avait occasionnée avec sa réprimande sévère. Quatre heure du matin dehors avec mademoiselle Prewett, ça valait bien une bonne punition bien sentie. Sur ses lèvres reposait encore le doux baume d'un baiser volé auprès du lac et ça, ça valait bien toutes les peines du monde.
* * *
En fin de compte, Poudlard était passé bien vite. Il se trouvait à la croisée des chemins, hésitant encore sur ce qu'il ferait de sa vie. Une chose était sûre, tout ce qu'il entreprendrait, il le ferait en tenant la main de sa douce Molly avec qui il entrevoyait déjà mariage et enfants. Une longue vie heureuse l'attendait et elle commencerait bientôt, lorsqu'il dénicha un poste au Ministère de la Magie. Ce n'était rien de très prestigieux, en fait, il ne faisait que remplir de la paperasse du matin au soir. C'était un boulot honnête, ce qui le remplissait de fierté, bien que son titre ne fasse l'envie de personne en fin de compte. Si ses journées étaient mornes et ternes, il lui restait encore ses soirées qu'il passait en alternance avec Molly et son atelier au terrier. Quand les bisous et les câlins de sa tendre moitié n'étaient pas au rendez-vous, il en profitait pour travailler d'arrache-pied sur son projet de vie : la boussole. Il n'y avait rien à faire, il y revenait toujours, comme si sa fierté en dépendait. Lui qui d'ordinaire ne se gonflait pas d'un orgueil démesuré, il en venait à douter de ses propres capacités. Voilà des années qu'il avait abandonné l'idée saugrenue de réparer la boussole pour qu'elle retrouve le Nord. Elle l'avait perdu et à vrai dire, il s'en moquait éperdument. Et voilà que depuis quelques semaines, il avait enfin trouvé quoi faire avec cet artefact moldu et un soir, il avait réussi. Criant victoire, il avait déboulé les escaliers d'un seul bond, s'attirant les regards perplexes et réprobateurs de ses parents qui, le voyant attraper la poudre de cheminette aussi rapidement qu'il était apparut, lui demandèrent où il pouvait bien aller à une heure si tardive.
« La voir ! » Septimus et Cedrella retournèrent aussitôt à leurs lectures respectives, leur dernier fils les ayant habitués à ce genre de sorties incongrues.
Et quand il arriva chez elle, il fit bien attention de ne faire aucun bruit en grimpant jusqu'à sa fenêtre. Après une éternité à se faire couvrir de bisous, il avait réussi à lui montrer ce sur quoi il avait travaillé si longtemps. Alors qu'elle l'observait avec de grands yeux amoureux, il lui expliquait en long et en large ce qu'était ce petit machin et ce qu'il en avait fait.
« Elle est toujours incapable d'indiquer le Nord, mais maintenant, elle pointe vers le bonheur. » À vrai dire, l'aiguille suivait simplement la position de Molly, pouvant indiquer avec précision la direction à emprunter pour la retrouver.
« Elle te trouve toi, Molly. Mon bonheur à moi. » Et quand il la demanda en mariage, elle avait pleuré, elle avait souri et même ri, mais surtout, elle avait dit oui.
* * *
Avec le temps, ils avaient accepté la situation. Leur mariage n'avait pas réjoui ni les parents de Molly, ni ceux d'Arthur. Trop jeunes, trop fous. Ils ne réussiraient pas à vivre ensemble, à se construire une vie digne de ce nom. Et pourtant, ils étaient heureux. Parents comblés de trois merveilleux fils, le couple filait le parfait bonheur. C'était d'ailleurs à l'annonce de la troisième grossesse de Molly que les parents d'Arthur avaient décidé de leur laisser le Terrier, n'ayant plus besoin d'autant d'espace, mais surtout, voulant aider cette belle petite famille qui, bien qu'aimante, ne roulait toujours pas sur l'or, malgré l'avancée professionnelle d'Arthur qui était monté en grade au travail. Il pouvait maintenant se targuer d'être fonctionnaire au bureau de détournement de l'artisanat moldu. Bien qu'il remplissait encore des papiers, il avait maintenant un boulot bien plus prenant, plus excitant surtout. Il pouvait désormais sortir du Ministère pour enquêter sur du détournement d'objets moldus ce qui en faisait rire plus d'un chez les Weasley. Et lorsqu'on lui demandait comment un fonctionnaire pouvait lui-même vivre dans l'illégalité – c'était d'ailleurs l'argument préféré de Molly pour le faire cesser ses bêtises d'enchantements – il répondait tout simplement que la loi n'interdisait pas le détournement lui-même, mais bien l'utilisation des fonctions magiques de l'objet moldu.
« Sans intention, il n'y a pas de transgression. » Dans ces instants, il se gardait bien de parler de sa boussole qui contrevenait clairement à cette loi qu'il avait lui-même écrite dans son propre intérêt.
* * *
« Argh hmm »Une plainte étouffée et souffrante en guise de réponse, voilà tout ce qu'il pouvait offrir en cette matinée trop ensoleillée à sa Molly chérie, transformée en tortionnaire pour l'occasion. Elle parlait si fort, il sentait son ouï se dérégler dangereusement. Il en perdait le fil de ses questions inquisitrices. Le silence rythmé de bruits étranges, c'était bien mieux qu'un mensonge éhonté. En vérité, Weasley se souvenait bien de sa soirée passée avec Frank, en détails même. Il se remémorait un à un les verres qu'il avait bus, surtout les cinq de trop. Ou était-ce dix? À ce point, il aurait juré avoir engloutit toute la bière du pays en une nuit tellement il se sentait étourdi.
« Et dire que tu ne voulais pas voir Alice et Frank. J'ai dû te forcer à venir, pauvre bougre! Quelle mule j'ai épousée… ma mère avait bien raison! » lança-t-elle avant de s'esclaffer trop vivement pour les tympans éprouvés d'Arthur qui répliqua péniblement.
« Non... Alice. C'est Alice que je ne voulais pas voir. Et je l'ai pas vue longtemps, mais ce Frank, il était bien sympathique. » Il se garda de dire que Frank semblait intéressé par les moldus. Enfin, comment être insensible à leur charme quand quelques fiers représentants de cette espèce dénuée de magie s'amusent à jouer du poing à quelques centimètres de votre visage. Il y avait quelque chose de grisant à se battre avec ses mains plutôt que sa baguette, quelque chose de plus animal. Heureusement, les deux gredins avaient fuit la scène rapidement avant qu'on n'abîme leur visage. Il valait mieux ne pas apporter de preuve de mauvais comportement aux Prewett, on leur aurait tiré les oreilles pour moins que ça. Frank était un vrai ami, en fait. Surtout lorsqu'il s'était intéressé à ce chapeau à la forme intrigante. Weasley avait été si déçu de ne pas réussir son coup. Entre ses jambes titubantes et ses bras en manque flagrant de coordination, il ne faisait pas le poids face à ces policiers.
« Un chapeau moldu. Molduuuuuuuu. » Un chapeau, rien de bien intéressant là, en fait. Il y avait eu aussi une petite danse de célébration de cette trouvaille, mais il préférait oublier son médiocre déhanchement. À bien y repenser, ils n'avaient rien d'extraordinaire, ces chapeaux. Il aurait pourtant voulu en ensorceler un, par pur plaisir coquin.
« Je comprends vraiment pas ce que tu as contre elle, moi, je l'adore. » Étouffé par un semblant de fierté, il n'osait pas dire qu'en réalité, elle lui faisait peur. La Longbottom avait la fermeté et le caractère de sa femme, sans démontrer cette douceur caractéristique de Molly.
« Elle est comme toi, mais sans les bisous. » dit-il avant d'enfouir sa tête dans son oreiller.
« Heureusement. » avait-elle lâché sèchement.
« Évidemment. Moi, je veux pas de bisous d'Alice, je veux des bisous de Molly, c'est les meilleurs. Pas que j'en aie essayés d'autres non plus... » L'alcool embrouillait encore son esprit, ce qui l'empêchait de véritablement se défendre face à cette tigresse qu'il aimait tant. Il déparlait, baragouinait des excuses et se plaignait à la simple idée de devoir bouger de sous la couette réconfortante. En respirant un bon coup, il se félicita de ne rien avoir dévoilé de sa soirée à sa femme, s'évitant ainsi la querelle matinale qui aurait eu raison de sa tête lourde. Il n'avait pas la force de se défendre, aussi se laissa-t-il faire, non sans chouiner, lorsque Molly retira d'un grand coup la couverture du lit, laissant un Arthur dénudé affrontant seul le vent friquet matinal qui le fouettait plus qu'à l'habitude.
« Allez chéri, tu dois aller travailler! » Elle le laissa seul pour se préparer, se dirigeant en ricanant vers la cuisine pour lui concocter un petit déjeuner qu'il grignoterait sans plus, faute d'appétit. Ou était-ce cet arrière-goût de houblon dans sa bouche qui l'empêcherait d'apprécier cette cuisine généreuse? La journée serait longue.
Pourvu que Malfoy soit absent, priait-il vainement.
* * *
Assis confortablement dans le sofa du salon, Arthur tenait d'une main le petit Charlie, âgé de cinq ans, sur ses genoux et de l'autre un exemplaire usagé de
Curious George qui glissait doucement d'entre ses doigts.
« Tu dors papa. » Le petit garçon s'amusait à planter gentiment ses doigts dans les joues rosées par la chaleur du feu de son père. D'un coup, ses yeux s'ouvrirent aussi grand qu'ils le pouvaient.
« Non, je lis les yeux fermés! » lança-t-il, d'une fierté feinte.
« Tu ronflais aussi les yeux fermés? » répliqua le garçon, sur un ton moqueur.
« Ah ça… » Rattrapant le bouquin qui partait à la dérive, il essaya de retrouver le passage où ils s'étaient arrêtés.
« George promised to be good. But it is easy for little monkeys to forget. » « Argh pourquoi on doit lire celui-là? Moi, je veux les contes de Beedle le Bard comme les autres! Mes amis lisent tous ça avant d'aller dormir! C'est pas juuuuuuste!»Le père soupira lourdement. À chaque soir, c'était la même scène. Charlie détestait toujours autant les livres moldus qu'Arthur lui proposait. À quoi bon relire les mêmes livres sorciers encore et encore quand ils pouvaient explorer ensemble la culture moldue? S'il avait réussi à passer cet engouement à son premier fils qui, s'en adorer ces histoires, y trouvait tout de même un quelconque amusement, Charlie restait hermétique à tout ce qui ne touchait pas son petit monde magique.
« Pauvre garçon, torturé par son père. Quelle vie de misère, mon cher! » Arthur lâcha un rire devant la moue peu amusée de son fils.
« Ce qui est extraordinaire avec la vie des moldus, c'est qu'ils doivent croire sans voir. Ils doivent imaginer et rêver, sans jamais voir de leurs propres yeux. Et tu sais ce qui arrive quand ils laissent aller leur imagination? Ils créent des dragons, des sorciers et de jolies fées! Observer les moldus, c'est prendre conscience de la beauté de la magie et de la chance qu'on a de tout voir de nos propres yeux. » Loin d'être convaincu, le petit Weasley rajouta une couche ou deux de plaintes qui eurent raison de son père. Et Beedle le Bard ce serait, encore une fois.